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  • Photo du rédacteurRichard Monette

5 heures 18

Zénon et Guy Monette


Mon père est le meilleur des mécanicien



À cinq heures dix-huit, un saxophone pleure en arrière-plan. Je ne suis pas affolé, mais surpris. La tristesse viendra plus tard. Je note instinctivement l’heure dans ma tête, puis avec mon cellulaire, je commence à rédiger ce texte. Il relate ces quelques instants d'intenses émotions que ma mémoire ne saurait préserver. Ai-je été un facilitateur ou un guide ?


Pour la première fois mes paroles ont été celles d’un passeur. Dans ces lignes, je dis exactement ce qui s'est passé. Je l'écris pendant les quelques minutes d'un silence nouveau qui prend place lorsque la souffrance cesse et durant lesquelles, jalousement, je les ai étirées...


... seul avec mon père, libéré, afin de fixer en mots et humilité mes larmes à venir et cela bien avant d'appuyer sur le bouton d'appel.


Quatre heures. Non. Je ne dormais pas, puis je me suis levé pas pressé, mais je sentais qu'il ne fallait pas que je tarde. À peine dix minutes en voiture plus tard, j'étais avec lui. Hier, j’avais eu un léger ras-le-bol de Nana Mouskouri, sa chanteuse préférée entendue en boucle sur des heures, lui procurant l’apaisement que les médicaments n'apportent plus.


Alors je lui ai mis du jazz d'ambiance, discret, musique qui accompagne selon moi,  les bonheurs tranquilles. Les préposées m'ont apporté du café avec leur élégante sensibilité, le leur, pas le sirop de machine, puis elles se sont effacées par un délicat glissement de rideau.


Avec ma main sur son cœur posée délicatement et mes doigts bassistes grattant en chatouille mes notes, je lui ai parlé mécanique et du coffre d'outils tout neuf, rouge, qu'on lui donne parce qu'il y a un train en panne qui doit être à Toronto dans quatre heures.


Des outils de mécanicien, de très gros et d’autres de précision au millième. Je les lui ai décrits avec plein de détails, ceux-là même que j’avais souvent entendu raconter fièrement par cet homme. Une belle récompense pour souligner le plus grand des troubles-shooters du CNR de l’est du pays.


Je l'ai invité à rester calme et à écouter le moteur, à prendre son temps. Sa respiration difficile tentait de suivre le jazz, je crois, et ma paume sur son torse en ressentait les efforts.


Il y a deux jours, lors d’un bref éveil, il m’a réclamé une cigarette, lui qui ne fume plus depuis de nombreuses années. Alors je lui ai dit, comme si j’étais son formen de ce temps-là : « Tu peux fumer. Tu peux fumer une cigarette Ti-Guy, commence par une bonne cigarette...

... pis écoute. Écoute, vis avec les pistons. Trouve ce qui cloche avec cet engin. » Son souffle lentement a ralenti et est devenu calme avec mes phalanges au rythme du jazz.


Après un petit moment, en maudit bon boss, j'ai voulu savoir s'il allait pouvoir réparer la locomotive, comme pour souligner l’urgence de la tâche. Ça, je le savais, il est le seul à pouvoir mettre le doigt dessus et faire en sorte que ça marche dans les délais, parce que les chemins de fer ont toujours été pour lui très importants, ils sont les artères d’un pays.


Je lui ai dit d'en fumer une autre s'il le fallait…Et là, comme la musique en saccade d’un train qui s’éloigne,  il est parti réparer des diesels pour l'éternité. L’heure du départ: 5 h 18.


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